Chaque société dispose d'outils intellectuels et techniques qui lui sont propres pour définir les spécificités d'une matière. Mais, au sein d'une même société, les manières de qualifier les matières et les usages qui en sont faits restent pluriels et peuvent entrer en concurrence. Il en ressort que certaines modalités de qualification sont hégémoniques par rapport aux autres ; c'est particulièrement le cas pour la qualification et la gestion des déchets.
Dans cette communication, je propose de revenir sur une technique hégémonique d'élimination des déchets, la co-incinération en cimenterie, ainsi que sur la qualification savante des déchets qui lui est indissociable. L'objectif sera de chercher à comprendre, en pratique, sur quoi repose cette hégémonie pour esquisser, à terme, ce/ceux qui lui résiste et ce à quoi cette technique résiste.
Dans un premier temps j'introduirai deux des principaux piliers sur lesquels repose cette hégémonie :
1) Une technique (de qualification notamment) doit répondre à des critères de scientificité lui permettant d'être moralement et légalement acceptée.
2) Une technique doit entrer dans le cadre de l'économie formelle avec une possibilité de mise en marché des matières et des services (de qualification, d'élimination etc.).
Dans un second temps, je reviendrai sur les principales résistances, qu'elles soient techniques ou sociales, que j'ai pu expliciter par une enquête ethnographique et pouvant surgir autour de la qualification savante des matières en laboratoire.
1) Tout d'abord, la construction d'un protocole d'analyse fait face à des résistances purement techniques. Mais aussi, l'évolution des protocoles ayant des conséquences sur les process et sur l'organisation du travail, les acteurs extérieurs au laboratoire peuvent opposer une résistance à l'élaboration d'un protocole. Comment se matérialise (conjointement) les résistances des matières et les luttes autour des protocoles nécessaires à la qualification savante ?
2) En suivant, bien que les protocoles soient établis et suivis par les chimistes, un échantillon mal refermé, un outil mal étalonné, un désaccord entre deux laboratoires peuvent troubler les résultats savants et mener à des micro-controverse autour d'une qualification... Comment et pourquoi les acteurs font valoir leurs intérêts sur la qualification quand les outils savants font défaut ?
3) Enfin, la qualification savante, en tant qu'appareillage techno-scientifique, contribue à légitimer la technique de co-incinération elle-même (que ce soit légalement, scientifiquement et économiquement). Ici, nous avons alors une double résistance liée à la concurrence entre les techniques. D'une part, la co-incinération devient une force de résistance aux autres techniques d'élimination et de gestion qui seraient peut-être plus écologiques. D'autres part, en s'accaparant massivement les déchets, chose nécessaire à sa survie, l'industrie cimentière devient également une résistance à l'ambition d'une réduction de la sur-production de déchets.
En montrant les possibilités de l'ethnographie des techniques - via l'objectivation des pratiques, des usages et des discours sur les matières - nous ouvrirons la discussion sur ce que cette approche, en faisant le lien entre SHS et sciences naturelles, peut offrir dans la compréhension des différents choix technologiques, et de ce que ces choix révèlent du rapport qu'entretient une société à ses déchets.
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