Après une vision hygiéniste de la gestion des ordures ménagères (Barles, 2005, Berdier et Deleuil, 2010), le paradigme se modifie au fil du temps et les ordures sont de plus en plus identifiées comme objet de ressources, voire d'affects positifs : « la valeur ambivalente des déchets. Les déchets oscillent entre, et peuvent même être en même temps, sans valeur et inestimables » (Corvellec, 2019). Structures d'économies sociales et solidaires, entreprises prestataires et collectivités locales s'évertuent à valoriser le métier de rippeur en agent de collecte, d'agent de déchetterie en valoriste, à inciter les populations à trier à la source (à domicile) leurs propres déchets. Mais qu'en pensent les habitants ? Comment le vivent-ils au fil des années, au fil de leurs mobilités résidentielles ? Pourquoi s'approprient-ils plus ou moins facilement tel mode de collecte de tri ? Pourquoi résistent-ils aux injonctions au tri des déchets, ou au contraire pourquoi entrent-ils volontiers dans les propositions socio-techniques qui leurs sont faites ? A quelles valeurs se référent-ils, interrogeant « les systèmes culturels, sociaux, économiques et politiques au sein desquels les déchets sont créés » (Gille et Lepawsky, 2022) ? En quoi ces valeurs peuvent-elles faire obstacle dans la prise en charge de ses propres déchets ? En quoi la pratique de cette habileté de pensée telle que celle de jeter permettrait-elle d'identifier les ressorts et le rejet de certaines pratiques de tri au domicile ? Et surtout en quoi ces différences de valeurs et de pratiques sont le fruit d'inégalités préexistantes (sociales, écologiques) (Muller et Schonbauer, 2020) ?
Dans le cadre d'un programme de recherche prioritaire expérimentale, PEPR Household Waste, la recherche ici présentée permet l'identification des valeurs philosophiques sur lesquelles s'appuient les ressorts des pratiques de consommation, de tri et de rejet des déchets ménagers, dans les quartiers d'habitat social d'une part, et les quartiers pavillonnaires aisés d'autre part, en s'appuyant sur le terrain de Le Mans Métropole. Cette approche permet de « s'interroger sur les attitudes d'esprit et les comportements réels face aux propositions et aux réflexions liées au rejet-déchet » (Gouhier, 2000).
Pour ce faire, est mis en place un dispositif de recherche in situ, in vivo, en créant une communauté de recherche en rudologie avec les habitants de ces quartiers. Ce dispositif de recherche en sciences humaines prévoit d'inclure des ateliers de philosophie, des parcours de géographie sensible, des biographies résidentielles avec la production de traces écrites, audio et réalisées avec et par les habitants. Ce dispositif s'appuie sur le modèle des communautés de recherche en philosophie avec les enfants (Chirouter, 2022). Les habitants sont dès lors considérés comme experts de leur gestion des déchets et possesseurs d'un savoir vernaculaire. La communauté de recherche en rudologie, qui se réunira sur une période de 5 à 7 semaines, permettra l'exploration d'une question à visée philosophique. Elle est inspirée par un slogan d'une entreprise de nettoyage d'économie sociale et solidaire apposée sur une poubelle d'une rue mancelle d'habitat mixte : « Les ordures et moi, une belle histoire d'amour ». Mais peut-on vraiment avoir une belle histoire d'amour avec ses ordures et notamment ses déchets ménagers ?
La proposition de communication expose dans un premier temps la méthodologie de la démarche participative, l'analyse qualitative statistique et textuelle et dans un second temps, les premiers enseignements portent sur les valeurs sur lesquelles s'appuient les résistances et les volontés de faire avec et faire autrement, que ce que les politiques publiques visent, afin d'éviter la surconsommation de déchets à son propre domicile.
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