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La climatisation des déchets : quand les déchets résistent (ou non) à la mise en ordre climatique
Laurence Rocher  1@  
1 : Laboratoire EVS
Univ Lyon, Université Lyon 2

Dans son ouvrage « climatiser le monde », Stefen Aykut explique, à partir des exemples de l'énergie et des sols démontre comment s'opère une « extension du problème climatique vers d'autres arènes politiques », (Aykut, 2020). Ce phénomène n'épargne pas le secteur des déchets qui est traversé par par un cadrage climatique à l'œuvre depuis le début des années 1990 (Rocher, 2020). Solidement établi, ce cadrage réoriente les priorités de traitement (favorisant l'incinération au titre de la valorisation énergétique, au détriment de la mise en décharge, émettrice de méthane), tout en invisibilisant pour une large part les impacts climatiques de la production des déchets et de leur recyclage. Cette climatisation des déchets rencontre toutefois de sérieuses limites, que nous envisagerons comme autant de résistances des déchets aux normes et aux instruments de la régulation climatique. La proposition de communication s'inscrit dans l'axe 3, étant entendu que les gaz à effet de serre constituent un « déchet de déchet », qui résiste à l'élimination. L'analyse portera sur les tenants et aboutissants de la climatisation des déchets, en soulignant les effets de cadrage comme les apories qu'elle comporte. L'accent sera mis sur deux formes de résistance qui sont de nature et de portée différentes. D'une part, les normes et conventions métrologiques sur lesquelles repose la comptabilité carbone se heurte à la nature retorse des déchets qui s'avèrent particulièrement « uncooperative » (Bumpus, 2011). D'autre part, l'application de la réglementation carbone (internationale et européenne) au secteur des déchets engendre des effets pervers, et suscitent des contestations qui représentent autant de résistantes aux instruments (Le Bourhis and Lascoumes, 2014).

1° La comptabilité carbone des déchets : ouvrir la boîte noire

L'effort de comptabilisation des émissions de GES au niveau international a donné lieu à la construction d'un système métrologique complexe (Cooper, 2015) qui mobilise des conventions de calcul émanant de la gouvernance climatique (équivalent CO2 du méthane, pouvoir de réchauffement,...) prolongées par des conventions spécifiques aux déchets (distinction du carbone biogénique/fossile, part stockée du carbone, échelles de temporalités de largage du méthane). Mais face à la méconnaissance matérielle des déchets, parfois même des volumes produits (Bogner et al., 2008), on a recours à des estimations, qui, cumulées donnent une représentation très approximative des émissions de GES liées aux déchets. En dépit de méthodologies de plus en plus sophistiquées, la comptabilité carbone peine à prendre en compte la réalité matérielle et géographique des déchets.

2° Résistances aux instruments de la régulation climatique

Le traitement des déchets est concerné, mais de manière très partielle, par les instruments établis par le protocole de Kyoto. Le mécanisme de développement propre a été largement sollicité pour des projets de modernisation de décharges dans les pays en développement, permettant d'obtenir des crédits certifiés de réduction des émissions pour les investisseurs, entraînant parfois une déstabilisation des organisations économiques et sociales locales (Silver, 2017). Par ailleurs, les unités d'incinération des déchets, émissives de GES, ont été jusqu'à très récemment tenues à l'écart des allocations de quotas carbone, au motif de leur vocation sanitaire d'intérêt général. Toutefois, la révision très récente du système d'échange européen marque la fin de ce régime d'exemption, ce à quoi s'opposent les industriels de l'incinération. En parallèle, ces dernières investissent dans les technologies de capture et utilisation du CO2 pressurisé ou liquéfié, nouvelle promesse de la décarbonation des déchets.



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