Résistances de la ville productive : travailler les déchets dans le quartier de Poblenou à Barcelone
Solène Tixadou  1, 2@  
1 : Laboratoire ESO
UMR 6590 CNRS
2 : le mans université
Le Mans Université, Le Mans Université

Dans la perspective de l'axe 1 « Résister avec les déchets », nous présenterons une diversité de résistances aux logiques et dynamiques de métropolisation au-travers du travail des déchets dans le quartier de Poblenou à Barcelone, en y étudiant plusieurs résistances et entités : les travailleur⸱ses des déchets, les initiatives alternatives d'artisan⸱es et makers, ainsi que les résistances de la matière détritique elle-même.

La désindustrialisation qui frappa le quartier de Poblenou à Barcelone en fit le terrain de jeu idéal pour le projet 22@, débuté en 2000. Ce projet de renouvellement urbain, inscrit dans une logique d'économie de la connaissance et visant à attirer entreprises et activités innovantes, mobilisa contre lui plusieurs oppositions populaires (Besson, 2015). Dans ce quartier se sont cependant maintenus diverses activités productives, certaines directement impliquées dans le travail des déchets. Poblenou est ainsi l'épicentre des ferrailleurs barcelonais. La plupart des chatarras, entreprises consacrées à l'achat et à la vente de ferraille et de métaux, y sont installées. Y convergent les chatarreros, proches des ferraillous français (Florin et Garret, 2019), qui y poussent leurs charriots chargés de la ferraille collectée dans les rues. On s'interrogera sur les modalités de cette résistance des chatarreros dans la ville, très visibles dans les rues mais dont l'activité reste pourtant négligée, voire réprimée (Climent et Porras, 2018).

Dans le quartier de Poblenou, on observe également d'autres formes de résistance des activités productives (Ferchaud et al., 2024) aux opérations du projet 22@. Ces activités peuvent relever de l'art ou de l'artisanat. Particulièrement dynamiques dans le mouvement maker au sein du Fab Lab Barcelona, elles utilisent volontiers les matières détritiques. Elles entretiennent un rapport ambivalent avec la dynamique de métropolisation du quartier : installation temporaire dans des locaux municipaux, lancement de projets alternatifs de co-production artisanale de biomatériaux à partir de déchets organiques, avec le soutien plus ou moins marqué de la municipalité.

En parallèle des résistances de ces travailleur⸱ses des déchets et de ces initiatives, nous constatons que le déchet porte déjà en lui une forme de résistance. En référence à la discipline du même nom, on pourra parler ici de résistance des matériaux – détritiques. A une échelle micro, la matière résiste, nécessite un travail parfois éprouvant avant d'être valorisée : il faut broyer, mixer, il faut arracher, désosser la machine à laver pour en extraire le cuivre tant prisé, etc. (Callén, 2016 ; Florin et Garret, 2019). A une échelle méso, le travail des déchets a besoin d'espace pour accumuler, trier et transformer les matériaux collectés – en opposition aux logiques du projet de 22@ (Porras Bulla, 2023). Les déchets résistent dans nos villes à la fois par leur quantité, leur volume, leur poids. Ils s'opposent à toute invisibilisation, s'imposent aux préoccupations. Leurs effets sur la ville sont à la fois directs et indirects, et on pourra mobiliser des analyses dans le droit fil des nouveaux matérialismes (Whatmore, 2006) pour étudier cette forme d'agentivité de la matière détritique (Ingold, 2007 ; Benett, 2010).

Les difficultés des chatarreros à résister aux dynamiques locales de métropolisation comme les négociations des artistes et artisans du quartier nous amèneront ainsi à penser différentes formes de rapports à la matière et différents positionnements dans les rapports de force locaux pour comprendre comment ces collectifs résistent avec les déchets.

 

BIBLIOGRAPHIE

Bennett, Jane. 2010. Vibrant Matter: A Political Ecology of Things. Duke University Press.

Besson, Raphaël. 2015. « La Fab City de Barcelone ou la réinvention du droit à la ville ». UrbaNews [en ligne], 10 mars 2015. https://www.urbanews.fr/2015/03/10/48041-la-fab-city-de-barcelone-ou-la-reinvention-du-droit-a-la-ville/.

Callén, Blanca. 2016. « Donner une seconde vie aux déchets électroniques: Économies informelles et innovation sociotechnique par les marges ». Techniques & culture (65‑66): 206‑19.

Climent, Victor, et Julián Porras Bulla. 2018. « An analysis of informal work: The case of SubSaharan scrap metal waste pickers in the city of Barcelona ». Intangible Capital 14(4): 536.

Ferchaud, Flavie, Alexandre Blein, Joël Idt, Daphné Lecointre, Flore Trautmann, et Hélène Beraud. 2024. Aménager la ville productive. Paris: Presse des mines, La Fabrique de l'Industrie, Plan urbanisme construction architecture.

Florin, Bénédicte, et Pascal Garret. 2019. « « Faire la ferraille » en banlieue parisienne : glaner, bricoler et transgresser ». EchoGéo (47).

Ingold, Tim. 2007. « Materials against Materiality ». Archaeological Dialogues 14(1): 1‑16.

Porras Bulla, Julián. 2023. « Trabajadores de la chatarra y más gente en los espacios de la gig economy », In Charnock, Greig, José A. Mansilla, et Ramon Ribera-Fumaz, éd. 2023. 22@Barcelona: un distrito de innovación en disputa. Primera edición. Vilassar de Dalt, Barcelona: Icaria.

Whatmore, Sarah. 2006. « Materialist Returns: Practising Cultural Geography in and for a More-than-Human World ». Cultural Geographies 13(4): 600‑609.

 


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