Le réemploi et la gestion des déchets face à l'écosystème du bâtiment
Quentin Moureau  1, 2@  
1 : Centre Lillois d'Études et de Recherches Sociologiques et Économiques - UMR 8019
Université de Lille, Sciences Humaines et Sociales
2 : Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés
Université Gustave Eiffel

Si les grands réseaux techniques débouchent vers des formes de valorisations et de gestions basées sur des rationalités financières et de rentabilités, donc marchandes (Desvaux, 2017), alors les cadres législatifs les structurant promeuvent plutôt le recyclage (Riotton & Delautrette, 2024), au détriment de la prévention et de l'allongement de la durée d'usage. Dans le domaine du bâtiment, qui produit d'importantes quantités de déchets aux typologies hétérogènes engendrant de forts enjeux de gestion et de valorisation, le recyclage est difficilement diffusé en raison d'un secteur socio-professionnel faiblement coordonné (Brousseau & Rallet, 1995). Les chaînes de sous-traitance, la prégnance des relations interpersonnelles (Valcin, 2023) et les formes précarisées d'emplois (Jounin, 2009) exacerbent la délégation du « sale boulot » (Lhuilier, 2005) lié à la gestion des « restes », et complexifient la diffusion et l'appropriation de pratiques durables dans le secteur (Amarillo, 2013; Amarillo & Gadille, 2009), dont le recyclage et le réemploi. A partir d'une enquête par entretiens et observations menée dans le cadre d'une recherche-action sur le territoire de la Métropole Européenne de Lille et la commune de Roubaix, cette communication vise à présenter certains résultats concernant les freins à la diffusion de pratiques dites circulaires dans le bâtiment. Il s'agira d'exposer les résistances hétérogènes à l'adoption des pratiques de gestion des déchets issus des chantiers, dont les acteurs mobilisés divergent selon les projets. D'un côté, les maîtrises d'ouvrages, qui délèguent, expriment une pleine confiance vis-à-vis des grandes entreprises dont les modes de gestion des produits et des déchets leur semblent adaptés aux gestes et pratiques valorisés par les grands réseaux. De l'autre, les petites et moyennes entreprises sont sujettes à des « vigilances de bon sens » et à des suspicions quant à la gestion des déchets qu'elles exercent. Du fait de cadres législatifs, réglementaires et sociotechniques plus ou moins contraignants, les déchets sont inégalement pris en charge, et le réemploi peine à se déployer. Relativement à des objectifs de massification des filières et de rationalisation financière des projets du bâtiment (Brousseau & Rallet, 1995; Villot et al., 2015), l'enquête met en lumière des acteurs existants et des pratiques informelles invisibilisés, et certaines typologies de produits écartées. Interrogeant concrètement les temporalités des projets du bâtiment, le réemploi contredit, voire concurrence, certains modes de productions, amenant ainsi à la présentation du cas limite (Hamidi, 2012) d'une typologie de produits faiblement qualitatifs et réemployables : les revêtements de sols souples. Largement déployés dans le secteur du bâtiment, il s'agira d'exposer les façons dont les revêtements de sols souples interrogent certaines tensions entre quantité et qualité. Les déchets issus de ces produits sont pris en charge par les producteurs eux-mêmes, qui structurent des réseaux alternatifs imbriqués dans les grands réseaux (Coutard, 2010; Coutard & Rutherford, 2009), légitimant par là le recyclage en sécurisant leurs propres approvisionnements en matériaux (Desvaux, 2017), tout en évitant de réinterroger les temporalités et les impacts du secteur. Le réemploi devient ainsi un auxiliaire du BTP en restant tributaire des modes productivistes qu'il entend pourtant amender (Simay, 2021).



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