Ce que la résistance au dualisme entre gestion de proximité et industrielle a à nous apporter : le cas de Reflex dans le quartier du Grand Bellevue, à Nantes
Andrea Wiktor Gabriel  1@  
1 : ECOGEOS
Absence de tutelle

La gestion des biodéchets des collectivités est souvent envisagée sous l'angle de l'opposition entre une gestion de proximité, comme le compostage individuel ou partagé, et une gestion industrielle, impliquant la collecte et le traitement des déchets avec une massification des flux. Cependant, la diversité des procédés de traitement, tels que le compostage industriel, électromécanique, ou en bout de champ, les méthodes de prétraitement, comme le déconditionnement, le criblage, ou le tri manuel, ainsi que les modes de collecte, allant du camion au vélo, questionne cette dichotomie. Cela révèle une hybridation croissante des procédés techniques et des modèles économiques.

Cette contribution se situe à la croisée des approches économiques, territoriales et socio-technique de la gestion des flux en milieu urbain. Elle cherche à explorer frontalement le caractère hybride (Aissani, 2022) ou composite (Coutard, 2009) des modes de gestion du métabolisme urbain, en dépassant dès les prémisses de la réflexion l'opposition traditionnelle entre grand réseau technique et dispositifs dit décentralisés ou alternatifs, échelle urbaine et échelle micro-locale, acteurs institutionnels et acteurs informels (Coutard et Rutherford, 2015)

Le projet Reflex, ancré dans le quartier du Grand-Bellevue à Nantes, illustre cette hybridation. Ce collectif associe des acteurs de la gestion de proximité, du compostage en bout de champ, et de l'économie sociale et solidaire autour d'un projet commun, incluant une boucle locale de la matière organique et une composante sociale forte, au travers notamment de la récupération de restes alimentaire, du compostage, et d'une ferme urbaine.

Nous discuterons en quoi Reflex représente une hybridation des modèles de gestion des biodéchets, qui est à la fois le fruit d'une logique institutionnelle et, en même temps, une résistance face à la pression pour une gestion purement logistique des biodéchets, en étant porteur d'une multiplicité d'externalités pour le territoire.

En élargissant le propos à d'autres projets porteurs des mêmes caractéristiques, nous avançons que ces formes hybrides se révèlent intéressantes car elles répondent à l'enjeu de réintégrer la gestion des restes urbains dans des pratiques sociales diversifiées, sortant ainsi les déchets urbains d'un secteur strictement logistique pour les réintégrer à la vie socio-économique des villes, transformant ces déchets en ressources potentiellement territorialisables. L'intérêt de ces formes hybrides réside aussi dans leur capacité à encourager la coopération entre différents secteurs de l'action publique remettant en question la pertinence de l'appartenance stricte de la gestion des biodéchets au secteur des déchets.

Nous discuterons enfin des verrous et pistes à leur développement. Ces projets, souvent fragiles et dépendants de marchés publics, peuvent devenir marginalisés s'ils ne parviennent pas à s'adapter aux exigences institutionnelles ou à attirer des financements stables. A l'inverse, ils sont régulièrement sous pression d'une montée en échelle et d'une massification qui pourrait entraîner une perte des avantages inhérents à l'hybridation.

Parmi les verrous, le cloisonnement de l'action publique, et notamment séparation des compétences collecte et traitement représente un enjeu important. Le changement des modes de contractualisation représente également un enjeu : la question du modèle économique se pose, et notamment de la valeur à attribuer à l'action de gestion des restes. Comment rémunérer la gestion de nos restes autrement que par le volume traité ? Dans quelle mesure des modèles seraient concevables, inscrits dans les cahiers des charges des appels d'offre, et qui rémunèreraient la nature du bouclage (local, orienté vers des modes production agricole soutenable, etc.) ou encore les bénéfices sociaux induits par le projet ?

Un troisième et dernier verrou que nous soulignerons est la question du suivi quantitatif et qualitatif de ces projets. La difficulté à mettre en oeuvre ce suivi limite le développement de formes de gestion et notamment d'installation low tech dont les processus techniques, pourtant contrôlés, échappent aux référentiels de contrôle reconnus par la puissance publique. Une enquête approfondie sur ces hybridations se révèle aujourd'hui nécessaire.


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