Désarmer les sols, quand les déchets de guerre résistent au temps
Olivier Saint-Hilaire  1@  
1 : École des hautes études en sciences sociales  (EHESS)
Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), École des Hautes Études en Sciences Sociales [EHESS]
54, boulevard Raspail 75006 Paris -  France

Selon les spécialistes, un quart du milliard d'obus d'artillerie tiré sur le seul front Ouest entre 1914 et 1918 n'aurait pas explosé (10 % pour la Seconde Guerre mondiale). 500 tonnes de munitions : obus, bombes, grenades et autres explosifs des deux guerres mondiales sont ramassées chaque année rien qu'en France (200 à 250 tonnes pour la Belgique), dont 10 % sont chimiques. Le service du Déminage de la Sécurité civile, en charge de la collecte et de l'élimination de ces déchets de guerre, estime ainsi devoir encore le faire pendant au moins quelques siècles. L'État, responsable des accidents que pourraient produire ces munitions, toujours capables de tuer, et dont il est l'unique propriétaire, n'a pourtant jamais cessé depuis 1918 de nettoyer les anciens champs de bataille. La récupération de ces déchets a en réalité débuté dès 1914 pour satisfaire les immenses besoins en métaux de l'industrie de guerre. En 1919 émerge une nouvelle industrie privée du désobusage au service de l'État détruisant jusqu'en 1940, les stocks de munitions explosives et chimiques. Mais cette industrie qui vidange, brûle et fait « pétarder » les déchets de la guerre, produit à son tour de nouveaux déchets qui contaminent en profondeur les sols et aquifères partout où l'on a tiré, produit ou entreposé des munitions.

En 2011, un incident sur le réseau d'eau potable de la Ville de Bordeaux met en lumière une contamination des nappes phréatiques aux ions perchloratés, résidus d'explosifs. La poudrerie nationale de Saint-Médard-en-Jalles où l'on a fabriqué des obus pendant la guerre et où l'on fabrique encore aujourd'hui du propergol, à base de nitrate d'ammonium est mise en cause. Une cartographie, réalisée dans le cadre d'une enquête à l'échelle nationale, montre une évidente corrélation entre les plus hautes teneurs en perchlorates sur les captages d'eau potable et l'ancienne ligne de front établissant d'un lien entre guerre, déchets pyrotechniques et pollution. Des centaines de sites utilisés pour la destruction industrielle de munitions après les deux guerres mondiales sont alors « retrouvés » partout en France par le Bureau des recherches géologiques et minières (BRGM) qui a procédé de 2015 à 2018 à des explorations systématiques dans tous les services d'archives départementales.

Cette proposition, qui s'inscrit dans l'axe 3 de l'appel à la manifestation d'intérêt a pour objet de montrer comment les déchets de guerre continuent de résister au temps et de quelles manières les séquelles environnementales de la Grande Guerre doivent nous interroger sur les cycles de mémoire et d'oubli des déchets dans la longue durée.


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